Ma vie avant aujourd'hui ? Franchement, est-ce la peine que je revienne là-dessus maintenant que j'ai l'occasion d'y tirer un trait et l'enterrer au fin fond de ma tête ? Il est vrai qu'on est ce qu'on est grâce, ou à cause de son passé, mais je n'aime pas y repenser. C'est tout. Mais s'il le faut...
Je suis né il y a plus ou moins vingt ans, je ne sais où, pendant le mois de Décembre. Le 3 Décembre 2029, si vous tenez aux détails. Comme dirait Sherlock Holmes, les petits détails sont les plus importants. Mais je m'égare. Je fuis. Et nous y voilà : la lâcheté. J'ai passé plusieurs années à fuir, tâchant de survivre. Mais commençons par le commencement, sinon c'est à ne plus y rien comprendre. Au fond, ma vie n'est pas si compliquée. J'ai grandi parmi les civils, au milieu des drogués, dealeurs, de tous ces gens que la société met en marge ou ne tolère que s'ils ont une utilité. Une foule méprisée qui subit les regards condescendants de ceux qui sont assez riches pour bien vivre. Mon enfance, je l'ai passée dans un squatt miteux au nord de Tokyô. D'aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais connu ma mère. Mon père m'a élevé de son mieux, me protégeant comme il le pouvait contre tout ce qui pourrait m'arriver. Je ne comprenais pas, du moins pas encore, pourquoi il semblait craindre un danger omniprésent. Mon père était, à mes yeux, quelqu'un de bien, de gentil, mais parfois, par exemple quand je parlais de ma mère, son regard s'assombrissait et si je m'avisais de lui parler; je ne réussissais qu'à m'attirer sa colère. Au fil du temps, j'ai su quels sujets je devais éviter pour ne pas lui faire de la peine. Quand j'ai été en âge de marcher, j'ai appris à voler. Prendre des objets dans des sacs, vider les poches des gens, détourner leur attention pour mieux m’approprier leurs biens. C'est mal, mais je n'avais pas le choix. Et au final, dans ce monde torturé, fou, dans lequel nous évoluons, y a t-il encore du bien et du mal ? Toujours est-il qu'un jour, en rentrant d'une sortie plutôt réussie – j'avais pu voler de quoi manger pour quelques jours – j'avais trouvé le squatt vide. Du moins, je le croyais vide. Des hommes armés maintenaient mon père immobile, et tous les regards se braquèrent sur moi. J'étais mort de peur. Littéralement. Tout se passa ensuite très vite. Les coups de feu claquèrent, tandis que je fuyais à toute allure, traversant les rues aussi vite que possible. Une onde de douleur émanait de mon épaule, et je compris sans mal que j'avais été touché. Quand j'avais enfin ralenti l'allure, me laissant tomber dans la poussière, je réussis à reprendre le contrôle sur moi-même. J'allais repartir en direction de chez moi, pressant ma blessure d'une main, quand une lumière orangée avait brillé entre mes doigts. Le sang qui coulait le long de ma peau se rétractait lentement, et quand je retirais ma main de la plaie, je me rendis compte qu'il réintégrait mes veines tandis que les chairs se remettaient en place, et en quelques secondes, il ne restait plus trace de la balle que j'avais reçue. Mais la fatigue me tomba dessus comme une chape de plomb et je dus m'asseoir.
J'avais dû perdre connaissance puisque lorsque je rouvris les yeux, il faisait nuit. Je n'étais pas si surpris, pas tant que ça. Je pouvais me soigner. Et ? J'avais entendu parler de ces gens qui possédaient des pouvoirs, ces «Mutants» comme on les appelait. Il semblait que j'étais dorénavant l'un d'eux. Puis les souvenirs des événements survenus quelques heures plus tôt me revinrent et je me frayais un chemin dans les rues jusqu'au squatt. J'arrivais trop tard, bien trop tard, pour pouvoir faire quoi que ça soit pour mon père. Son cadavre gisait dans la pièce que nous occupions et je n'arrivais même pas à me résoudre à l'approcher. A admettre que la seule personne que j'avais était morte. J'avais pris sur moi et lui avait fermé les yeux, puis, après un temps d'immobilité, je récupérais une sacoche, quelques objets, et partis. L'endroit n'était plus sûr. Même si je me contente de donner les faits, je dois avouer que j'étais dévasté. J'ai pleuré un nombre incalculable de fois. Je n'avais que douze ans, après tout. Mais mon père m'avait déjà dit plusieurs fois que si jamais il lui arrivait quelque chose, je devais lui promettre que je continuerais à vivre. Alors j'allais de l'avant, comme je pouvais. Dans les affaires que j'avais prises, il y avait un carnet. J'avais hésité un long moment, puis renoncé à l'ouvrir. C'est seulement quelques années plus tard – à dix-huit ans – que je me décidais à le lire. Mais avant, j'avais été récupéré par des dealeurs. Tout ce que j'avais à faire, c'était livrer des paquets pour un type répugnant, qui m'accordait le droit de dormir avec un toit au-dessus de la tête et m'assurait le couvert si je m'acquittais bien de ma tâche. Pendant les six années où j'ai travaillé pour lui, de la mort de mon père ( j'avais douze ans ) à ma fuite qui allait survenir plus tard ( à dix-huit ans et quelques ), je n'avais pas cessé de me détester. Au lieu d'aider l'homme qui m'avait élevé et me battre, j'avais fui. Lâchement. Courant pour préserver ma vie. Alors c'est pour cela qu'au final, je m'étais laissé utiliser pour dealer, indifférent à moi-même. J'avais été contrait de voler, parfois blesser des gens, tout ça pour m'assurer d'avoir encore de quoi vivre. Et au final, si les mêmes hommes armés que ceux qui avaient voulu me tuer – ou me capturer, qu'en savais-je ? - n'étaient pas revenus un jour, je n'aurais jamais lu le carnet de notes que je gardais avec moi. Qui sait ce que je serais devenu ? Le jour où je les avais revus, ces hommes qui m'avaient en quelque sorte pris ma vie, j'avais fui. Encore. Moi qui avait appris à me blinder et rester calme en toutes circonstances pour ne pas m'attirer des ennuis, allant jusqu'à éviter les gens pour ne pas dévoiler mon pouvoir – une simple égratignure suffisait -, j'avais à nouveau été terrifié par ces gens-là. J'avais pu les semer, me cachant dans les décombres d'un immeuble en ruines. C'est là que j'avais ouvert le bloc-notes et lu son contenu. Il était écrit tantôt par mon père, tantôt par ma mère, et la première moitié relatait sa grossesse difficile, le déchirement que mon père ressentait à avoir à choisir entre sa femme et son enfant, puis le choix de ma mère de me mettre au monde malgré tout. Dans la deuxième moitié, mon père exprimait sa crainte quant à ma sécurité, à cause d'un clan d'Humains qui voulaient s’approprier les pouvoirs des gens comme moi; ses pensées au fil des mois tandis que je grandissais, et sur la dernière page, une adresse. Une carte avec une indication, et deux mots. École, Mutants.
J'avais cherché ce lieu pendant deux ans, jusqu'à pouvoir le trouver, espérant y être enfin en sécurité. Et vivre. Non plus survivre, comme je l'avais fait durant les huit ans passés, depuis que j'avais perdu la seule personne qui m'aimait et à qui j'avais été attaché. Et j'avais finalement pu y entrer, osant à peine espérer qu'enfin, j'allais pouvoir être autre chose qu'un objet.
Here I go. Here I am. And I'm not rocking you like a hurricane..