Notre histoire, parce que oui, il est bien question de mon frère et moi, n'est pas ce qu'il y a de plus extraordinaire, sans pour autant être tout à fait banale. Oui, c'est possible. Il a ya sans doute bien pire, comme bien mieux. On ne peut pas vraiment dire qu'on a nagé dans le bonheur toute notre vie, ça serait mentir, mais au moins, on a toujours pu compter l'un sur l'autre dans les moments difficiles , et ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir une relation aussi forte, que ce soit avec un membre de la famille ou un ami. Ca m'a permis de m'endurcir très vite en tout cas. Etant l'aîné, je me suis très vite investi d'une mission cruciale pour moi : protéger mon petit frère et jumeau, Soohyuk. Et ça, ça voulait aussi dire encaisser les coups sans broncher, devenir impassible et affronter les obstacles la tête haute. Je ne pouvais pas faiblir quand je le savais à mes côtés, et ça m'a forgé le caractère.
Ma version de l'histoire ? La voilà.


Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de mon enfance. Je crois que mon cerveau a volontairement omis ce passé qui était le mien, le nôtre, pour que je puisse aller de l'avant.
On a toujours vécu à l'orphelinat avec mon frère. La petite vieille qui s'occupait des quelques enfants qu'on était a été comme une mère pour nous tous. Ca ne nous a pas empêché de grandir avec la désagréable pensée qu'on n'avait pas été assez bien pour que nos parents nous gardent. On savait que notre mère était morte à notre naissance par notre faute et que notre père n'avait pas pu supporter, nous tenant pour responsables de son malheur et de son chagrin, incapable de même nous regarder. Ca avait été son excuse en nous amenant à l'orphelinat, ce qu'il avait dit à cette bonne femme à qui il s'apprêtait à confier ses enfants, et ce qu'elle nous avait répété quand on avait eu l'âge de comprendre, brisant les derniers espoirs d'erreur que j'avais toujours au sujet de notre abandon. Elle ne voulait pas cacher la vérité, à aucun d'entre nous, ses 'précieux enfants' comme elle nous appelait. Ce n'était pas plus mal, et au moins chacun connaissait sa véritable histoire, gardant les pieds sur terre plutôt que de devenir des rêveurs et utopistes perdus dans les nuages. Elle a été la seule à nous donner de l'amour, et je respecte encore aujourd'hui cette femme qui à elle seule a su tous nous élever, nous éduquer, nous inculquer les bases pour qu'un jour nous puissions voler de nos propres ailes. Ca n'a pas été facile tous les jours, bien au contraire même, mais on su surmonter ça, nous soutenant mutuellement l'un et l'autre avec Soohyuk.

Non seulement il y a eu ça, mais au cas où on ne se sentait pas suffisamment différents des autres avec ce statut d'orphelin peu valorisant qu'on nous ressortait souvent pour bien nous faire comprendre qu'on était des moins que rien dont nos parents n'avaient même pas voulus, mais en plus, à peine sortis de l'enfance, voilà qu'on se découvrait des pouvoirs surnaturels. Ca nous a fait un choc ; à moi en tout cas. Déjà que je n'étais pas très stable et pas le plus calme des gamins, et là on me laissait avec cette capacité hors du commun et destructrice entre les mains. J'ai dû apprendre à maîtriser cette aptitude à double tranchant aussi vite que possible pour éviter de blesser les autres par mégarde. Petit, mon pouvoir se manifestait par instinct, sans que j'ai besoin d'un seul mot pour qu'il fasse effet, et c'est ça qui était dangereux. Soohyuk lui aussi était surpris par son pouvoir mais je pense qu'il avait moins de pression sur les épaules, lui qui ne blessait personne en se transformant. La première fois qu'il a disparu pourtant, j'étais paniqué, et je lui ai encore plus collé aux basques par la suite, le suivant comme son ombre, mon côté protecteur et frère poule ne s'améliorant pas.

Evidemment, une fois que ça allait mieux et qu'on avait à peu près réussi à apprendre à gérer grossièrement nos pouvoirs, quelque chose d'autre nous est tombé dessus. Celle qui nous avait aimés et vus grandir mourut sous nos yeux sans qu'on ne puisse rien y faire, et tout ça encore une fois à cause de nous et de nos 'dons' comme elle disait. Déjà plus fort émotionnellement que mon petit frère, je me souviens l'avoir retenu de crier de détresse, choqué moi-même mais restant de marbre, collant ma main contre sa bouche.
Après ça, c'est là que ça a été le plus dur. Livrés à nous-mêmes, on a dû apprendre à se débrouiller seuls et Soohyuk s'est vite montré très utile confronté à une telle situation. On devait rester cachés en plus, changeant de planque régulièrement, et ce n'était pas une vie facile pour deux adolescents. Deux petits voyous des rues si vous voulez, voilà comment on a grandi, tout ça en apprenant à mieux connaître nos pouvoirs, à mieux les maîtriser. Soo s'occupait de tout entre ses voitures et ses capacités intellectuelles que je n'avais pas, et c'est lui qui ramenait l'argent. En tant que grand frère, ce n'était pas du tout comme ça que je voulais que ça se passe, et même si je n'étais pas très malin et que mon cerveau était incapable d'élaborer des plans aussi astucieux que lui, je trouvai quelque chose à faire de mon côté et commençai à dealer et à aller frapper des gens pour le compte de caïds et régler leur comptes, tout ça pour participer moi aussi, non mais.

Jusqu'au jour où on a fait la mission de trop, une mission en équipe avec d'autres mecs pendant laquelle une petite fille a perdu la vie, nous faisant prendre conscience qu'on s'était peut-être engagé sur la mauvaise voie. On a voulu faire demi-tour, changer notre façon de faire, ou du moins changer ces mecs pour qui on travaillait, et là, ça a vraiment dégénéré. Ils s'en sont pris à moi, jusque là ça va, mais ils s'en sont aussi pris à Soo et ça, il était hors de question que je l'accepte. Ca m'a mis dans une telle fureur que je n'ai pas compris tout ce qu'il m'est arrivé, agissant sous cette colère terrible, par pur instinct protecteur, ne retenant pas mon pouvoir. Quand j'ai repris mes esprits, je me suis retrouvé au milieu d'un véritable carnage, pataugeant dans une bouillie rougeâtre qui jonchait le sol et avait giclé sur les murs, mon petit frère trônant au milieu de la pièce, tabassé mais conscient. On était tous les deux dans un sale état en sortant de là, moi tremblant de par les horreurs que je venais de faire, quelques flashes me revenant.

On a par la suite changé de vie, trouvant ce groupe de rebelles appelés Katharsis, me trouvant plus renfermé qu'avant encore, et plus attentionné envers mon frère, le couvant après ce à quoi il avait assisté, pour lui montrer que je n'étais pas qu'un monstre. Ca fait maintenant un an et demi qu'on a rejoint leurs rangs, essayant de nous racheter, continuant à nous battre pour montrer qu'on reniait ce gouvernement perverti et tout le système.