Ne, abeoji, vous vous rappelez de cette histoire que vous m'avez tant raconté ?

Deux enfants chinois se sont un jour promis de passer leur vie ensemble, à la vie, à la mort. Ils n'avaient que sept ans à l'époque, mais se marier était déjà dans leurs projets. Leur vœux s'est exaucé. A l'âge de dix-huit ans, les deux familles se sont accordées pour organiser le mariage des deux enfants qui étaient maintenant devenus adultes. La guerre avait beau faire rage, ce n'était pas un obstacle pour eux car leur amour était plus fort que tout.

Je sais bien que vous parliez de votre propre histoire. Elle avait l'air de vous tenir tant à cœur qu'il était impossible pour moi de me tromper. Vous m'avez aussi conté la naissance de ce garçon, Wei Chen. Autrement dit, mon frère. Cet enfant était votre fierté. Il n'y a pas de meilleur cadeau de la nature qu'un premier fils, je l'ai bien compris à travers l'éducation que vous m'avez donnée. Il est né en 2023, cinq ans avant moi. Mais la deuxième partie de l'histoire m'a toujours rendue triste. Vous étiez partis une semaine à Seoul pour fêter le deuxième anniversaire de Wei Chen. Mais pile le jour où vous auriez dû être heureux et sourire, la bombe G explosa. Fort heureusement, les personnes qui vous ont accueillis à l'époque étaient prévoyant. La guerre faisait toujours rage et ils n'étaient pas tranquille. Grâce à ces braves gens, vous avez été épargnés.

Mais il faut que j'en vienne au fait. Étrangement, l'histoire semblait moins passionnante lorsque vous en êtes venu à raconter ma naissance. Vous vouliez une fille, c'est du moins ce que vous m'avez fait comprendre. Mais tout ne s'est pas passé comme vous l'aviez espéré. Lorsque les femmes autour de vous périssaient une à une après avoir mis au monde leur enfant, vous pensiez qu'elles avaient un problème de santé. Mais eomma n'y a pas échappé, malheureusement. Je sais que vous m'en voulez car c'est de ma faute si elle a quitté ce monde. J'ai toujours senti dans vos paroles une certaine tristesse. Vous l'aimiez, si vous aviez dû choisir, vous auriez préféré la garder elle plutôt que moi.

Mais les années ont passé, abeoji. Vous avez tout de même accepter de m'élever avec l'aide de mon frère. Vous vous êtes installés à Incheon après la catastrophe et il n'a jamais été question de changer d'endroit. Ce que j'admire chez vous, c'est que malgré la distance que vous avez installé entre nous, vous avez toujours veillé à ce que je ne manque de rien. Vous n'étiez pas un père aimant comme on en parle dans certains livres ou dans certains films, mais je ne peux pas vous reprocher d'avoir souhaité notre sécurité à Wei Chen et moi. Vous avez été un père droit et juste.

Les années ont passé et j'ai grandi. Je devais avoir à peu près huit ans lorsque j'ai usé de mon pouvoir pour la première fois. Je m'en rappelle très bien, j'étais avec Wei Chen oppa. On jouait comme à notre habitude dans le quartier. Il me poursuivait, et je tentais de m'échapper pour ne pas être le chat. Mais j'ai trébuché, je savais que j'allais perdre. Je ne vous ai jamais parlé de ça, abeoji, je ne voulais pas vous faire peur. J'ai froncé les sourcils, persuadée que mon frère aurait peur de moi, mais plutôt que de le repousser, je me suis retrouvée expédiée de l'autre côté de la route. Je m'étais téléportée. Je n'ai vraiment pas compris ce qui m'arrivait sur le moment, et d'après ce que Chen m'a dit, je me suis évanouie. Vous savez, je n'étais pas très courageuse dans ce genre de situation. Soit, j'ai tenté de vous cacher ce secret le plus longtemps possible.

Je ne comprenais pas, à l'époque, pourquoi mon frère a commencé à s'éloigner de moi. Il me regardait comme avec dégoût. On était pourtant proches avant, mais il a subitement commencé à agir comme si j'étais un monstre. Pour la première fois, il me reprochait d'avoir été la cause de la disparition de notre mère. C'est comme ça que, plus tard, j'ai pu faire le rapprochement entre sa disparition et votre tristesse. Mais lui, dès qu'il est devenu un véritable adolescent, il a décidé de ne plus me faciliter la vie. Il me menaçait, et vous ne disiez rien. Mais je veux bien le comprendre, j'ai tout fait foirer.

Abeoji, vous m'avez demandé de quitter le foyer lorsque j'ai eu seize ans. Wei Chen ne semblait plus vouloir garder le secret de mon pouvoir. Je me demande d'ailleurs pourquoi il l'a gardé aussi longtemps. Il me détestait déjà, il m'en voulait. Peut-être qu'en réalité, il voulait attendre que je sois en âge de me débrouiller avant de me dénoncer. Mais de toute manière, vous vous en seriez rendu compte tout seul. Aucun des enfants nés après l'explosion en 2025 n'a échappé à ce "don" ou cette "malédiction". Je sais que Chen oppa vous a forcé à me demander de partir. J'ai vu dans votre regard cette once de regret. Je sais que même si vous ne l'avez pas montré, vous m'avez aimée. J'étais tout de même la fille que vous avez désirée.

Suite à mon départ, j'ai rejoint un groupe de rebelles. Tous étaient comme moi, tous me comprenaient. Je n'étais plus l'anormale de la famille. Vous savez, dans la faction Omega, ils se sont toujours bien occupé de moi. Je me suis fait plein d'amis, mais aussi des ennemis. Ça fait partie de la vie, non ? Je suis partie tôt, c'est vrai, mais de toute manière, je vous aurais bien quitté un jour. Ne vous en faites pas, abeoji, j'ai appris à me battre et à me défendre. Et puis, j'ai un rôle particulier dans cette faction. Vous n'en seriez pas fier... C'est contre nos principes, mais c'est la seule chose que je sais faire. Je vole, je pille, je dépouille. Mais c'est une question de survie, vous comprenez ? Ce n'est pas toujours facile de vivre ici. Nous ne sommes pas bien vus par la société, et nous nourrir n'est pas chose aisée. Je vous avoue que mon petit confort à Incheon me manque souvent. Mais je préfère ne plus vous attirer d'ennuis. Vous avez eu raison de vous séparer de moi.

Il y a une chose aujourd'hui qui me tient à cœur. Je sais que cette idée ne vous plaira pas mais... J'ai beaucoup entendu parler de Wei Chen oppa dans les médias. C'est devenu quelqu'un d'important, je suis sûre que vous en êtes fier. Mais il persécute mes semblables, et je ne peux pas l'accepter. Je souhaite l'affronter, je souhaite discuter avec lui. J'aimerais tellement pouvoir faire changer les choses, si vous saviez. Pourquoi est-ce que j'ai dû hériter de cette chose ? Pourquoi est-ce que j'ai tué eomma ? Je n'ai rien demandé... Alors je vais tenter de convaincre mon frère de ne plus s'en prendre à nous. Ce ne sera pas chose aisée, mais je crois en mon rêve.

Je vous aime et prenez soin de vous.