« Laisse-toi faire petite poupée » Elle pouvait l'entendre. Son timbre de voix, passé du grave au rauque. Son souffle, là, tout contre sa nuque, qui s'accélérait, tandis qu'elle frissonnait sous le toucher de ses doigts qui remontaient lentement ses cuisses. Chaleur moite qui émanait de lui, écoeurante, collante, cette air qui gluant semblait se coller contre eux, contre elle. « Je vais t'apprendre un nouveau numéro. » Une autre main se plaisait à se perdre dans ses cheveux blonds qu'elle avait tenté de brûler déjà trois fois, crispant tous ses muscles, sans pour autant trouver le courage de résister. Sans pour autant tenter de réfléchir. De s'opposer. Seuls des chevaux furieux réduisaient son esprit en miettes, seule une migraine de plus en plus oppressante l'écrasait, en plus du poids de l'homme. A certains moments, son coeur rata quelques battements, sa gorge ne pu respirer de l'air tant sa vision se brouillait, tant la douleur était horrible. Tandis que le directeur du cirque lui déboutonnait sa robe aux allures de gamine, elle, elle perdait lentement pied dans un monde devenu monochrome.

Les mains plaquées contre ses oreilles, Alice avait cessé d'être Alice. (Papa) Le regard perdu, rendu flou par les larmes, était à la fois vitreux et captivé par ce qu'elle avait sous les yeux. On dit qu'on peut regarder infiniment feu et eau, la jeune femme se contentait du sang. De la marre de sang. Tache rouge, rosée presque, dessinant un motif grossier sur le bois dont personne n'en distinguait plus les lattes de la poussière. Ce sang, autour du corps de l'homme. De sa voix - éteinte. De son toucher - livide. De son souffle - inexistant. Un sourire tremblant auquel se mêlait rouge à lèvre coulant et larmes se dessinait sur le visage d'Alice, regardant la fleur macabre au sol, et son père, à côté du cadavre. « Tu es née dans la mort, gosse » Sourire qui se tord, et regard qui se porte sur le hachoir, posé à côté d'elle. Elle ne savait pas, elle ne savait plus ce qu'elle venait de faire au directeur à présent. Les bribes de souvenirs ricochèrent encore quelques secondes dans son esprit, multiples fantômes de la vie d'un homme, avant de sombrer dans les méandres de sa folie. Sa respiration se fit plus rapide, comme tentant de conserver sa mémoire proche, ses doigts se crispèrent, et des larmes de plus coulèrent le long de ses joues. Il n'y avait plus rien. (Papa, s'il te plait, ramène-moi maintenant) Juste elle et lui. « Tu es la mort, Alice. » Un crachat, l'éternel crachat que son père lui adressait en guise de bonjour vint se figer sur la joue inanimée du directeur.
Comme un film mal cadré, elle vit, le temps de battre des cils, les autres fleurs qu'elle avait commises. Faites pousser. Puis nettoyées, parce que, personne n'aime la saleté. Le cheval qui l'avait fait tomber, l'un de ses tout premier jours au cirque. Son genoux, totalement fracturé, s'était arrangé le temps de quelques minutes. La mort de l'animal dura de même. Puis ce fut Chin, un membre de la troupe qui avait faillit au directeur. (Il est mort, non, c'est ça, il est mort par une rose rouge, encore Alice, encore une fois Alice, oh Papa, revient, REVIENT.) Alors, elle s'était arrangée pour que ça ne se reproduise plus. Puis il y avait elle. Peut-être s'appelait-elle Amber, Judith ou Susan, tout ce qui importait était la blondeur de ses cheveux, et la caresse qu'elle lui faisait doucement sur sa joue. Alice rouvrit ses yeux, et vit devant elle, masquant la fleur, le cadavre, et son père (Soleil) ce qui était sa mère. Ses cheveux soleil dont elle avait hérité, un sourire bienveillant, et des yeux bleus. De l'eau, du soleil. Tout ce qu'il faut pour faire pousser vos plus belles plantes. « Ma.. Maman.. » Et les sanglots la prirent de plus belle, chassant le silence figé dont elle avait fait preuve face au meurtre qu'elle venait de faire. Poupée désarticulée qui pleure auprès de ses fantômes. Les lèvres de sa mère bougèrent, mais ce fut la voix de son père qui parla. Ou plutôt, répéta. Les yeux de la jeune femme commençaient à la piquer, ainsi que son nez, mais elle ne compris pas. Elle ne compris rien. Bien trop abasourdie en voyant le cadavre se relever, une fleur imprimée sur sa si belle chemise.

Alice marcha sur des nuages blancs dans un ciel noir. Donnant le bras au directeur, il sortirent de cette pièce, bien trop exigüe, et marchèrent, marchèrent dans le ciel. « Tu avais six ans lorsque je t'ai trouvée. » D'un claquement de doigts, il fit apparaître deux trônes flottant au dessus de tout, sur lesquels ils s'assirent. « Un peu de thé ? » Et il versa un liquide rouge dans leur deux tasses. « Ton père avait perdu une grosse somme d'argent aux cartes, et il t'a laissé en caution. » Jamais venue la rechercher. « Alors j'ai joué à pile ou face, j'ai fait quatre hachoirs, et me voilà mort. Hilarant, n'est-ce pas ? » (Maman morte à l'accouchement, le cheval, Chin, et lui) L'homme se pencha au dessus de son accoudoir et baissa légèrement la tête, comme pour lui dire une confidence. « Mais le plus drôle, c'est que, toi, petit ange, tu vas chuter de ce ciel et te faire arracher les plumes. Une par une. On aime les spécimens de ton genre. » (« TU AS TUE TA MERE ESPECE DE PETITE ENFLURE ») « Tu te souviens de ces longs soirs, devant un livre de contes, avec comme seul fond sonore ton père ivre souhaitant ta mort ? » Le directeur se redressa, et Alice vit avec horreur une plume posée sur ses genoux, déjà arrachée. « Bois. » (« OU EST-CE QUE TU TE CACHES, DEMON ») Et elle but.

Un doigt trempa dans la flaque poisseuse de sang, et fut porté à ses lèvres. Sa langue claqua sur le palais, goûtant le parfum métallique, et elle leva la tête. De la fumée. De la fumée, et des flammes rugissant au dehors. Ses yeux se posèrent sans plus d'émotions sur le directeur, à nouveau mort, avant qu'elle ne se lève péniblement. Alice porta machinalement une main à son front, brûlant, de fièvre, d'hallucinations, de folie, ou simplement d'incendie. « Ils brûlent par ta faute. » Le spectre de son père, séparé d'elle par le corps, vrombrissait. Alice s'arracha les cheveux. Alice repris son hachoir, toujours au sol, et le mis dans la grade poche de sa robe. (« ILS RECHERCHENT DES COMME TOI, T'VAS VOIR, J'VAIS LEUR EN DONNER DU MONSTRE MOI, A CES PILLARDS. OU ES-TU ? ») Une grande partie de cache-cache commença lorsqu'on ouvrit la porte, lorsque l'on vit le cadavre, lorsqu'on la vit elle.« A.. Alice ? »Ce mal de crâne, cette tête qui ne voulait pas se calmer. Qu'on la lui coupe. Qu'on la lui coupe. Qu'on leur coupe.. La tête.

Hors d'haleine, Alice sortit du cirque dans lequel elle avait vécu plus de treize ans, sortit des flammes dans lesquelles elle avait tué. Hors d'haleine, Alice essuyait sans un mot ses mains maculées de sang sur sa robe, car, personne n'aime la saleté. Hors d'haleine, Alice sortit la tête de la poche de sa robe, et cela lui redonna le sourire. De ses mains rougeâtres, elle fit bouger la mâchoire, les yeux, écrasa le nez de l'infidèle à la Reine, à elle. Elle le fit sourire, et derrière elle, sa mère lui chuchota quelque chose à l'oreille. D'une main aux ongles rongés, elle ouvrit en grand la bouche de la tête coupée, et saisit quelque chose de l'autre, coincé dans la gencive. (On va me tuer, tu crois ?) Alice mis à hauteur d'yeux la plume engluée de caillots de sang, et lentement, la fit tourner. Peut-être que si elle savait l'existence des Lachesis, peut-être que si elle savait que c'était pour mieux la traquer que le cirque brûlait, alors elle aurait régit différemment. Mais elle ne fit rien, sinon doucement remplacer la tête, la plume, et son passé dans la poche. En coin, elle vit sa mère fantomatique esquisser une petite révérence, s'évaporant pour ne laisser place qu'à un petit lapin. Un lapin noir, carbonisé.
Suivons le.