Un premier mai peut être synonyme de joie, de fleurs qui éclosent ou encore d'une rosée atténuant les tâches de rousseur. Celui de l'année 2027 restera symbole funéraire pour certains. Poussant son premier souffle en ce jour, le fruit de l'amour des amants Kang marqua dans le même instant le dernier de sa mère. Décédée à la mort de l'enfant qu'elle avait désiré et chéri pendant neuf mois et sept jours, les yeux de cette femme courageuse s'étaient clos à l'instant même où le bébé se protestait, vidant ses poumons afin de prouver sa présence. Ainsi sa conscience s'envola, sereine, comme celle d'une mère apaisée par la vie qu'elle venait de transmettre mais aussi celui d'une femme déterminée, qui malgré les souffrances, venait d'accomplir ce qu'elle espérait le plus au monde. Monsieur Kang, lui, était dévasté. En larmes, impossible à soulevé il s'était écroulé au sol en priant les Dieux de lui ramener ce qu'ils venaient de lui prendre. Son plus grand regret restera celui de ne pas avoir assisté au dernier souffle de l'amour de sa vie, trop occupé par la contemplation de son nouveau né; sa nouvelle raison de vivre.

« Papa regarde j’ai attrapé un bébé chat ! C’est bon à manger ? » Ses mains d'enfant empoignant le petit être comme s'il s'agissait d'une banale peluche, la jeune Yoora alors âgée de six ans regardait son paternel les yeux brillants. A l'équivalent d'un grand chevalier, il était pour elle celui qui résumait son existence. Fusionnelle, leur relation semblait être une véritable utopie père-fille. Le brave homme lui expliquant avec toute la douceur qu'il possédait que le chaton était plus prétendant à être un animal de compagnie plutôt qu'un repas, la demoiselle acquiesça, la bouche en cœur et les yeux ronds comme des billes. Dès lors les jours passèrent et le petit chat devint un élément récurrent de leur quotidien et il formèrent alors une famille de trois; enfermés dans leur cocon. La gamine décidant de appeler Kashiboura, le père ria et céda. Rien de plus agréable que l'innocence d'un enfant. Innocence qu'il savait provisoire. De part des contacts bien placés, l'homme avait eu écho d'expériences menées sur un jeune mutant tirant apparemment sa différence d'un effet post-catastrophe. Cette catastrophe ils l'avaient vécue, ils s'étaient soutenus et avaient réussi à s'en sortir, eux et leur futur-enfant. Suite à tout ce qu'il avait vécu, il était capable d'affronter bien des situations cocasses, sa force mentale pouvant relever n'importe quel défi; tant qu'il ne perdait pas son équilibre: sa fille. Sa fille qu'il savait en danger. Elle dégageait dans certains de ses gestes une douce brise, ses rares colères étaient ponctuées d'un vent plus fort, lorsqu'elle disait être agacée par le vent qui lui amenait ses cheveux dans les yeux, ce dernier changeait de sens; n'importe quel père attentif aurait remarqué ces détails complètement fous mais pourtant réels. Dans un monde où le tabou était plus que jamais d'actualité, monsieur Kang comprit bien vite que sa poupée remplirait les critères de "mutante" pour tout scientifique en soif de savoir. L'idée qu'elle puisse subir le même sort que le défunt Shyi Wang était insupportable. Il fallait fuir, se cacher, les éviter jusqu'à ce que la petite fille devienne une adulte capable de se défendre et de survivre seule.

Le jeu de cache-cache commença, les gens voyaient en la dénonciation plus que jamais un moyen de se sortir de la misère, de retrouver un sens aux termes de bien et de mal. C'est quatre ans plus tard que la surprise fût. La rumeur qu'une enfant capable de parler avec le vent s'était propagée chez les scientifiques, après un an de recherche et de course-poursuite intensive un lourd vacarme se fit entendre, brisant le doux silence qu'imposait la nuit. Ils étaient là, on les avait dénoncé. Apeurée, Yoora serait son félin contre sa poitrine, courant aussi vite qu'elle le pouvait pour s'enfuir, son père à ses cotés. Il murmurait un tas de choses, qui parfois semblaient lui être destinées. Après quelques mètres ils furent cependant rattrapés, piégés par ces êtres au regard si froid. S'ensuit un long débat qui n'aboutissait pas. Bien que jeune, la mutante compris bien vite qu'elle était l'objet de toutes les convoitises. Le regard embué, Kashi collé contre son torse, elle se cachait tant bien que mal derrière son père qui soudainement vint se blottir contre elle.
« Ne m'oublie jamais Yoora. Je t'aime mon ange... fais attention à toi... » Un coup de feu et ce fut terminé. Son corps devenant de plus en plus lourd, il s'effondra à côté de l'enfant qui, le regard fixe et traumatisé entendait les dernières paroles de son paternel raisonner en elle. Des larmes. Des pleurs. Des cris. Une séparation. Le temps de passer à la page suivante.

Quelques années plus tard, Yoora est devenue une élève modèle. Ne bronchant pas le moins du monde, elle ne dit rien et subit. Endurcie par le lavage de cerveau que lui ont exercé les scientifiques, elle accepte ce qui lui est arrivé sans mal. Son père n'était qu'un agent qui souhaitait nuire à son développement parce qu'il ne croyait pas en elle. A force de répétitions ce raisonnement s'est gravé en elle et elle obéit tel un pantin. Croyant dur comme fer que le camp des Aegis n'est là que pour son bien et sa protection, qu'ils emploient des moyens de force par contrainte. Élément de poids car ayant conscience de ses forces et des conséquences de son pouvoir, elle a un mental de fer et a fait de tous les vices siens. Devenue une manipulatrice hors pair mais ayant surtout fait de sa personne quelqu'un d'exécrable, Yoo Ra était l'élément parfait pour servir d'espion chez les Katharsis; ces rebelles qui n'ont que pour seul mot d'ordre l'anarchie. Jeune femme aux allures fragiles, actrice hors pair, sans foi ni loi; elle était parfaite pour ce rôle. Cependant à l'envoyer chez les Katharsis, le camps des méchants a sûrement fait là sa plus grosse erreur. Bien que onze années soient passées depuis, les séquelles sont toujours présentes. Il est dit que nous sommes façonnés par notre enfance, c'est elle qui détermine notre caractère et notre vision des choses. Dans ce cas il est bien étrange que personne ne se pose de questions sur la personnalité de la demoiselle qui est bien différente des valeurs que lui avait enseigné son père. Cela expliquerait peut-être sa sensibilité envers les chats et pourquoi elle pleure dès qu'elle a l'occasion d'en caresser un, tout comme le fait qu'elle l’appelle "papa" dans son journal intime. Caché dans une boîte elle-même introuvable et scellée, c'est la première chose que Yoo Ra a emmené dans ses cartons lors de sa "remise en liberté" chez les Katharsis, celui-ci contenant une photo d'eux trois ainsi qu'un petit bout de papier glacé où trône le visage de sa mère, souriant et chaleureux. Ayant directement su trouver le leader des Alpha, Yoora n'a pas lésiné dans les moyens. Regard déterminé et destructeur, prête à se battre pour sa liberté, elle prétendit par dessus le marché n'être sortie que maintenant de son planque parce qu'elle voulait être sure de pouvoir participer efficacement à la guerre. Sa place au sein des Alpha n'est pas bien importante mais elle lui suffit amplement à récolter les informations à temps pour les transmettre aux Aegis.